GENERATION 1 (FRA)
- bousso benussi thioune
- 5 nov. 2020
- 4 min de lecture

Je suis italienne.
Je suis noire (oui, on peut le dire ce n’est pas une insulte).
Je pense que c’est acté par tous, je suis une femme.
La Trinité qui me définit est assez caractéristique !
Aujourd'hui je vis, je travaille et j’ai fondé une famille en France, et souvent les gens me caressent d’un regard plein de compassion quand je révèle mon pays de naissance “Oh, les italiens sont si racistes !” - disent les champions du chauvinisme – et se pavanent de leur société avant-gardiste, Reine de l’Accueil et de l’Intégration (beurk), foyer des Droits Humains, Prix Nobel de la diversité.
Bien-sûr tout cela m’est dit après avoir maladroitement essayé de cacher la surprise concernant ma nationalité.
Cela vaut pour les personnes polies, sinon il y a tous ceux abrutis qui me regardent avec un air consterné, insistent en me demandant d’où je viens vraiment,où me font un sourire sarcastique “ouais, c’est ça...”.
Je ne veux pas défendre le racisme ni le justifier, mais j’ai eu le besoin de l’analyser et de le comprendre afin de pouvoir le supporter (avant), attaquer et démanteler dans le quotidien (maintenant que je suis si mure et sage).
L'Italie est en retard.
L'immigration africaine – en particulier sub-saharienne est un phénomène extrêmement récent et réduit par rapport à d’autre pays européens.
L'Italie ne possède pas l’expérience des grandes puissances coloniales (je ne dirais pas ex-coloniales, non. Le colonialisme à mon avis n’est pas terminé il s’est juste fait un lifting, peut-être a changé des méthodes, mais c’est un autre discours).
Jusqu'à il y a un peu plus de 50 ans c’était les italien les immigrés, ceux qui personne ne voulait et qui étaient maltraités par tout le monde.
C'était une époque où la discrimination non seulement été acceptée mais socialement encouragée : les tristement célèbres panneaux “No Irish, no Jewish, no Italians” en Belgique, le terme désobligeant rital en France, les préjugés qui désignaient les italiens comme des mafieux, surement malhonnêtes, venus voler le travail, violer les femmes, corrompre les coutumes locales, imposer leur bouffe en infestant des quartiers entiers avec leurs saveurs et odeurs méditerranéens.
Cela ne vous dit rien ?
On est peut-être tous un peu trop insouciants, la mémoire historique n’a pas voulu conserver ce traumatisme et voilà donc que tout se répète, les maltraités maltraitent maintenant dans une perverse vendetta générationnelle.
Mon père m’a souvent raconté des regard surpris, curieux, des fois apeurées qu’il recevait des gens quand il venait d’arriver en Italie.
Il lui est même arrivé de se faire arrêter dans la rue par des enfants fascinés ou terrifiés ; ils lui caressaient le bras, lui touchaient les cheveux, lui grattaient la peau –horreur ! - bouleversés par sa couleur si inhabituelle, que dans l’imaginaire collectif d’une petite ville de province de l’Italie des années 70 pouvais se situer que dans la jungle perdue d’Afrique, dans les exotiques mégalopoles indiennes ou pire encore, renvoyait à l’idée de saleté, quelque chose de presque animal.
Avec ce geste si violent et irrespectueux ils s’attendaient à se retrouver du noir sur les mains comme si sous toute cette noirceur il y avait un homme blanc qui attendait désespérément d'être lavé et ramené à la civilité.
J'ai grandi avec le mantra imposé par la pédagogie plutôt agressive de mes parents ; il s'est répété en boucle chaque jour dans un coin de mon cerveau :
“Dans la vie tu auras toujours plus d'obstacles que les autres parce que tu es une femme, une femme noire dans un monde ou être femme et noire est un problème”.
Très encourageant.
Pendant des années, j'ai vu le monde comme une série des murs à escalader, obstacles à franchir, pleins des gens qui allaient me juger à vue, sans aucune réflexion.
Dans un discours souvent contradictoire mes parents m’ont répété qu'il fallait que je sois fière de mon corps tout en ayant honte ;mon aspect était à défendre mais aussi à cacher ; je devais me pavaner de mes origines tout en restant discrète.
Je tiens à être claire : je sais bien qu’être parents n'est pas facile.
Les miens ont fait du mieux qu'ils ont pu avec les moyens qu'ils avaient - certes la violence psychologique et physique aurait pu facilement être évitée - fort d'un traumatisme historique que je crois évident pour tout le monde (colonisation, Esclavage...) ils ont été élevés dans la méfiance envers l'Inconnu, le Français, l'Américain, l'Homme Blanc.
Ils ont été éduqués dans la lumière d’Allah, l'amour aveugle et solennel des Ancêtres, le respect inconditionné des Parents.
Ils ont cultivé le sacrifice de leur propre personne au nom du bien-être de la Famille.
Ils ne pouvaient pas savoir qu'est-ce que cela voulait dire d'avoir des enfants dans un pays, un continent, une culture, une langue, une couleur, une religion, un peuple, une unité, différents de ce qu'ils avaient toujours connu.
Nos parents vivent dans un pays qui leur rappelle constamment qu’ils n'appartiennent pas et qu'ils ne sont pas chez eux. Peu importe les décennies passées depuis leur arrivée, les efforts faits pour apprendre une nouvelle langue, leur participation à l'économie et à l’enrichissement culturel.
Malheureusement, souvent ils passent une vie entière avec le sentiment d'être au mauvais endroit.
En voulant nous protéger, dans leur éducation ce sentiment s'est transmis : même en étant né.e.s ici, nous non plus sommes chez nous et jamais ce sera le cas.
Je fais partie de ceux qui beaucoup - trop à mon opinion personnelle - appellent première génération d'immigrés. Une catégorie qui ne devrait pas exister puisque cette terminologie est violente et porte avec elle exclusion pour nous et négation pour les autres.
Je ne suis pas une immigrée en Italie.
C'est chez moi.
Le couleur de ma peau, la forme de mes yeux, la structure de mes cheveux ne font pas de moi une étrangère.
Je suis née en Italie.
J’ai grandi en Italie.
C'est normal que je parle la langue parfaitement, que je connaisse la culture, la gastronomie, l’histoire, les dialectes, la musique.
Ce qui n’est pas normal est que j’aie constamment, du matin au soir, à justifier mon être italienne avec mes compatriotes et étrangers blancs.
Je suis italienne. Je suis noire.
Faites-en vous une raison enfin.
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