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UNE JOURNÉE TYPIQUE

Paranoïaque. Disque rayé.

Mais tu ne peux pas parler d'autre chose?

Mais tu es sûre qu'ils ont dit ça?

On ne peut plus rien te dire!


Ce sont des mots que j'entends tous les jours, depuis que j'ai décidé de ne plus me taire, d'élever la voix, de prendre de la place, de dire ce qui ne va pas.


J'ai essayé plus d'une fois de penser à autre chose

C'est difficile, du moment où je quitte la maison le matin au moment où je reviens le soir je suis une femme. Une femme noire.


Les autres ont un regard complètement différent de moi et, croyez-moi, j'aimerais vraiment pouvoir dire le contraire.


Je suis enseignante.

Le matin je me lève, je prends le train pour aller travailler, rien de spécial, pourtant dans ce court trajet de 20 minutes il y a toujours pas moyen d'échapper à une petite agression sur ma personne.


Une main qui glisse sur la fesse ou sur la cuisse ou sur la poitrine, avec l'excuse que le train est trop plein et que faut bien s'accrocher quelque part.

Un regard étonné de voir «quelqu'un comme moi» lire un livre considéré comme intellectuel.

Une poussée suivie d'un "retour d'où tu viens".

Je suis sûre que ma réponse les décevrait je ne viens pas de si loin ...


Et puis j'arrive à l'école et il est presque impossible de franchir la porte sans un commentaire, ou un regard "où pensez-vous allez mademoiselle", car il est plus facile de me voir comme une lycéenne; les professeurs de ma couleur se font rares.

Après une journée de travail, des pauses passées à expliquer au collègue homme pourquoi il ne peut pas dire à une fille qu'elle n'est capable que de se coiffer et qu'elle doit se considérer chanceuse si elle trouve un emploi de coiffeuse (insulte sexiste et classiste, félicitations); après avoir dit à ma collègue que je n'apprécie pas particulièrement les questions personnelles sur l'hygiène de mes cheveux crépus, et que mon bébé est belle non pas parce qu'elle est un mélange de couleurs, mais simplement parce qu'elle est belle ; après des heures passées à observer en silence élèves qui ne se respectent pas, se diminuent mais s'aiment aussi, se connaissent et s'éduquent; après toute une série d'événements, je quitte l'école et nous recommençons la danse.


Au supermarché mon sac est vérifié non pas une mais deux fois parce que je ressemble à une dame qui a déjà été attrapée (une femme noire, bien sûr que nous sommes toutes pareilles, l'une vaut l’autre) la caissière me tutoie brusquement, après avoir vouvoyé les quatre personnes devant moi (toutes d'âges différents, certaines plus jeunes, toutes différentes de moi)


Je rencontre une amie étrangère, elle ne parle pas très bien la langue, elle a des beaux cheveux châtains, des yeux clairs, elle oui qu’elle ressemble à une française, bon sang.

Il n'y a aucun bénéfice du doute.

Un monsieur à l'air perplexe nous demande des indications, je lui réponds mais il ne m'écoute pas, il regarde mon amie avec insistance, comme si c'était à son tour de valider ma version.


Je vais aller chercher ma petite fille, dans la rue une dame avec un bébé dans les bras me demande quels sont mes tarifs parce qu'elle a vraiment besoin d'aide et si je m'occupe de petits enfants alors je pourrais prendre le sien aussi.


A ce moment je m'éteins, je suis fatiguée, un peu hébétée, je serre mon bébé dans mes bras, nous rentrons à la maison, j'embrasse mon partenaire.


Je suis enfin en sécurité.


Vous ne voyez pas ces choses.

Mon corps, ma couleur, ouvrent la porte à l'imagination des gens d'une manière inexplicable.

Je suis habillée d'histoires qui ne m'appartiennent pas, je suis dépouillée de mes expériences, de mes droits, de mes succès et même de mes erreurs.


Je vous dis ma réalité pas pour ne pas attirer manque d’attention, pas pour me victimiser, pas pour gâcher votre journée.

Ma réalité est commune à des nombreuses autres femmes.


Le sexisme et le racisme affectent ma vie au quotidien.

Et je les vois.

C’est bien, si vous pouvez regarder dans l'autre sens, si vous pouvez vous ennuyer de tout cela.

Cela signifie que vous n'en souffrez pas.

Cela signifie que vous avez le privilège de pouvoir ignorer ces problèmes même pendant quelques heures.


Je ne m'arrêterai pas, je ne peux en aucun cas m'éloigner de la réalité de mon être.

Mais ça va.

Je suis ici pour vous le rappeler.

Faites attention.

Réprimandez ceux qui blessent.

Protégez ceux que vous aimez.

Agissez.

Toujours.

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